La Conquête Espagnole

L'année 1492 est à marquer d'une pierre blanche dans l'histoire de l'Espagne; en effet, cette date marque, d'une part, l'aboutissement de la reconquête de la péninsule par les royaumes chrétiens, et donc, la fin de plus de sept cents ans de domination musulmane, et d'autre part, le début d'une nouvelle ère pour l'Espagne d'abord, mais aussi pour l'Europe occidentale en général, qu'est la "découverte" de l'Amérique avec tous les bouleversements que cela va entraîner.

C'est après s'être adressé sans résultat auprès de Jean II du Portugal, que Christophe Colomb, fils d'un tisserand gênois, obtint le soutien moral et financier de la reine Isabelle la Catholique pour monter une expédition qui, partant vers l'Ouest, était sensée, pensait-on, atteindre l'île de Cipango puis le royaume de Cathay (ces deux termes désignant alors le Japon et la Chine). Ces contrées d'extrême-orient étant alors communément désignées sous le terme d'"Indes", c'est donc par un contresens géographique que le nom d'Indiens allait désigner les habitants du Nouveau Monde.

Partie du port de Palos, le 2 Août 1492, avec trois navires, la Santa Maria, la Pinta et la Niña, et quatre-vingt-dix-hommes d'équipage, l'expédition jeta l'ancre, après deux mois et dix jours de navigation, devant l'île de Guanahani (dans les actuelles Bahamas), qu'il baptisa du nom de San Salvador.
 

Descendant vers le sud, il atteignit Cuba, dont il longea la côte septentrionale, si longue qu'il la considéra comme un prolongement de l'Asie. Le 6 Décembre, en compagnie de la "Niña", le vaisseau amiral toucha la côte nord-ouest de l'île d'Haïti, qu'il appela Isla Española, nom transformé en celui d' Hispaniola. La nuit de Noël 1492, la "Santa Maria" s'échoua et se brisa; avec le bois du navire amiral, il bâtit le fort de Navidad, puis, avec la "Niña", il repartit pour l'Europe en compagnie de la "Pinta", commandée par l'un des frères Pinzon, Martin Alonso.

Ayant appareillé de Cadix pour un second voyage, en Septembre 1493, après avoir embarqué des animaux jusque là inconnus dans le Nouveau Monde, tels des chevaux et des porcs, il se dirigea plus au sud et atteignit l'île de la Dominique, dans les petites Antilles, puis une autre île qu'il appela Guadalupe, en l'honneur de la madone du même nom, mais plus connue de nos jours sous le nom de Guadeloupe. Après avoir longé le chapelet de petites îles que sont Montserrat, Antigua, etc..., il atteignit Puerto Rico, puis de nouveau Hispaniola. Découvrant les ruines du premier fort qu'il avait fondé, il entreprit la fondation, non loin de là, d'une première ville, qu'il baptisa du nom d' Isabela, en l'honneur de sa protectrice, la reine Isabelle. Laissant sur place son frère Diego, Colomb découvrit la Jamaïque, puis après avoir longé la côte méridionale de Cuba, il revint à Isabela. Les relations, d'abord paisibles avec les Indiens, dégénérèrent vite; devant la révolte de ces derniers, indignés par les mauvais traitements infligés par les Espagnols, Colomb répondit par la répression, et voulut recourir à la traite des indigènes en vue de l'exploitation des richesses de ces nouvelles terres. Ayant laissé pour le remplacer son frère Bartolomé, qu'il avait nommé adelantado (c'est-à-dire gouverneur), Christophe Colomb repartit pour l'Espagne, non sans avoir donné à son frère instruction d'abandonner Isabela et de fonder une nouvelle ville; cette ville, baptisée Nueva Isabela, puis, plus tard Santo Domingo ou Saint-Domingue, sera pendant un demi siècle le siège principal de l'administration des Indes Espagnoles.
 

Le troisième voyage de Colomb (1498-1500) fut moins heureux. Après avoir découvert les bouches de l'Orénoque, en Août 1498, il se hâta de rejoindre Hispaniola, où la situation était devenue désastreuse du fait de la mauvaise administration de son frère, de la diminution de la population indigène et des divisions internes chez les Espagnols. Pour remédier à la situation, Christophe Colomb institua le servage, ce qui accentua la mortalité de la population indienne sous les effets cumulés du travail forcé et des maladies apportées par les conquistadors. Devant cet état de fait, la Cour de Madrid envoya sur place un visiteur, Bobadilla, chargé des pleins pouvoirs. Ce dernier, arrivé en Août 1500 à Hispaniola, fit arrêter Colomb et le fit embarquer, lui et ses deux frères, les fers aux pieds, pour l'Espagne.

De retour en Espagne, Colomb reçut des souverains la restitution de ses biens d'Hispaniola, mais ne fut pas rétabli dans ses fonctions de gouverneur, la couronne prenant alors directement en main l'administration des nouvelles terres par la création du Conseil des Indes, dirigé par Juan de Fonseca. Cependant, il reçut l'autorisation d'embarquer pour un quatrième et dernier voyage (1502-1504), avec quatre navires, dont seuls deux reviendront dans la péninsule. Au cours de ce voyage, après avoir longé les côtes de la Jamaïque et le sud de Cuba, il fit route vers le sud-ouest et atteignit les côtes de l'Amérique Centrale, depuis le Honduras jusqu'à l'actuel isthme de Panama. Conformément aux instructions royales, il essaya de fonder un établissement sur le territoire qu'il venait de découvrir, mais cette tentative se heurta à l'hostilité des Indiens. Après avoir passé un an à la Jamaïque, Colomb, affaibli et malade, fut de retour en Espagne et mourut dix-huit mois après son arrivée, n'ayant pu recouvrer ses droits et son autorité sur les territoires découverts; cependant, il continuait à recevoir le dixième des revenus provenant des colonies.

La véritable conquête du continent américain, et principalement, celle du Mexique par HernanCortés et du Pérou par FranciscoPizarro fut précédée et consolidée par la colonisation elle-même d'Hispaniola et par la découverte et l'exploration des îles voisines ainsi que du littoral du continent, depuis les bouches de l'Amazone jusqu'aux côtes du Nicaragua et du Honduras. Au moment où ChristopheColomb effectue ses derniers voyages, certains de ses anciens compagnons se lancent à leur tour dans d'autres expéditions ayant pour but d'explorer la "terre ferme", tel Alonso de Ojeda, qui, accompagné de deux navigateurs, Juan de la Cosa et Amerigo Vespucci, longe les côtes de la Guyane et d'une région qu'il fait appeler "petite Venise" (à cause des huttes sur pilotis qu'utilisent les indigènes de la lagune de Maracaïbo). Un peu plus tard, Ojeda, ayant obtenu de la Couronne espagnole, la délivrance d'une licence pour explorer la côte septentrionale de l'Amérique du Sud, jette l'ancre en Novembre 1509 à l'emplacement de l'actuelle ville de Cartagena, la fameuse Carthagène des Indes, en Colombie actuelle; parmi les hommes qui l'accompagnent, se trouve un certain FranciscoPizarro, l'artisan de la chute de l'Empire Inca. D'autres continuent également l'exploration, tels un certain Bastidas, qui, le premier, poursuit une expédition jusqu'à l'isthme de Panama, prélude à la découverte de la "mer du Sud", c'est-à-dire l'océan Pacifique, par Vasco Núñez de Balboa, le 25 Septembre 1513, cette date devançant elle-même d'environ huit ans la découverte de ce même océan par Magellan. Déterminé à poursuivre l'exploration du nouvel océan, Balboa ne put continuer son rêve; accusé de trahison par l'homme que la Cour de Madrid avait envoyé comme gouverneur de la nouvelle province de Darien,dépendant de l'actuel Panama, Pedro Arias de Avila, encore appelé Pedrarias, il fut condamné à mort et décapité.

L'épopée de la conquête du Mexique commence vraiment lorqu'un groupe d'hommes de cette province de Darien décide de quitter l'actuel isthme de Panama pour se lancer vers d'autres aventures. Se dirigeant d'abord vers Cuba, à bord de trois navires, et sous la conduite d'un certain Cordoba, ils font route vers la presqu'île du Yucatan, où ils font la connaissance d'un peuple qui leur apparaît, de par leur civilisation, très différent de ceux qu'ils avaient jusqu'alors rencontrés: ce sont les Mayas. Devant la résistance de ces derniers, l'expédition, amoindrie en hommes, revint à Cuba. C'est alors que le gouverneur de Cuba, Diego Velázquez, envoie une seconde expédition qui longe la côte sud du golfe du Mexique; là, les indigènes révèlent aux Espagnols l'existence d'un certain Moctezuma, souverain auquel ils obéissent et dont la capitale est située dans une vaste vallée, au-delà des montagnes de l'ouest. C'est finalement à un homme originaire d'Estrémadure que le gouverneur Velázquez décidera d'attribuer le commandement d'une troisième expédition; cet homme, qui deviendra bientôt célèbre, s'appelle Hernán Cortés.

Mars-Novembre 1519_ La marche de Cortés sur Mexico-Tenochtitlan

Redoutant une volte-face de Velázquez, Cortés prit les devants en quittant précipitamment Santiago de Cuba, dont il était l'alcalde, pour l'extrémité occidentale de l'île. Le 10 Février 1519,accompagné de sept cent deux hommes, dont seize cavaliers et cinq cent dix huit fantassins, avec trente deux chevaux et dix canons, l'expédition mettait le cap sur l'actuel Mexique, à bord de onze navires. Parmi les compagnons de Cortés, figurent notamment Pedro de Alvarado, son principal lieutenant et futur conquérant du Guatemala, Cristobal de Olid, conquérant du Honduras, et Bernal Diaz del Castillo, auteur de "L'histoire véridique de la conquête de la Nouvelle Espagne". Après avoir abordé sur l'île de Cozumel, près de la côte nord-est de la péninsule du Yucatan, ils débarquèrent à Tabasco, sur le Golfe du Mexique; là, ils durent faire face aux assauts de milliers d'Indiens hostiles et armés de frondes, d'arcs et de flèches, mais la bataille étant inégale face à la supériorité des mousquets et des arbalètes espagnols, beaucoup d'Indiens prirent la fuite. Dans ces conditions, Cortés put traiter avec les chefs indigènes; il y fit aussi la connaissance d'une femme d'origine aztèque, que les Espagnols appelèrent doña Marina, encore appelée "la Malinche", et qui sera d'une aide précieuse pour le Conquistador, étant à la fois son interprète et son amante. Le souverain aztèque, Moctezuma, tenu au courant de la présence de ces hommes blancs sur la côte, avait envoyé des messagers auprès de Cortés, pour lui présenter des cadeaux, mais surtout pour tenter de le dissuader de se diriger vers sa capitale, Tenochtitlan; en effet, une légende courait, chez les aztèques, q'un de leurs dieux, Quetzalcoatl, était parti vers l'Est, et qu'il reviendrait un jour. D'après leur calendrier, la date du retour de ce dieu, présenté comme un homme barbu et au teint clair, correspondait avec ce moment où des hommes blancs, semblables à ce dieu, montés sur des animaux qui leurs étaient inconnus, et disposant,dans leur esprit, du tonnerre et des éclairs, avaient débarqué sur ces côtes, eux aussi à l'Est. Cela ne pouvait qu'inquiéter Moctezuma, persuadé que son règne arrivait à son terme. Son sentiment, mêlé de crainte et d'indignation, auquel s'ajoutaient le joug et la terreur que faisait peser la domination des Aztèques sur les peuples qu'ils avaient asservis, tout cela allait être utilisé par Cortés pour mener à terme son but: détruire l'empire Aztèque et offrir de nouvelles terres à son souverain, Charles Quint.

Après s'être assuré, au moyen des armes ou de la diplomatie, la fidélité des villes côtières, et s'être privé de tout moyen de retraite en détruisant ses propres bavires, Cortés entama sa marche en direction de l'actuelle Mexico, à la tête d'une troupe de quinze cavaliers et quatre cents fantassins, ainsi que de deux cents porteurs indiens. En arrivant à Tlaxcala, cité indépendante qui refusait la souveraineté aztèque, Cortés dut d'abord faire face à l'hostilité de ses habitants, puis, après de brefs combats, ces derniers se rallièrent finalement aux Espagnols; ce qui ne fut pas le cas de Cholula, ville alliée des aztèques, où Cortés, flairant un guet-apens, massacra les habitants. Enfin, après trois mois de marche, les Espagnols arrivèrent dans la vallée de Mexico. Le lendemain de leur entrée dans la capitale aztèque, Moctezuma se présenta à eux, puis ils furent conduits dans un palais voisin de celui du souverain. Conscients de la précarité de leur situation, les Espagnols prirent prétexte du massacre, à Vera Cruz, de certains de leurs compagnons par un officier de Moctezuma, pour s'emparer de la personne du souverain.

Moctezuma, prisonnier de fait, avait cependant été averti du débarquement d'une troupe de huit cents fantassins et quatre vingt cavaliers espagnols, qui, sous les ordres de Panfilo de Narvaez, futur explorateur de la Floride, avaient été chargés par le gouverneur Velázquez de ramener Cortés à la raison. Ce dernier, après avoir laissé Mexico entre les mains de son "second", Pedro de Alvarado, réussit à retourner en sa faveur la troupe envoyée contre lui par Velázquez; c'est alors qu'il apprit que, par la faute d' Alvarado, la population de Mexico-Tenochtitlan s'était révoltée contre les Espagnols. Cortés, rentré dans la capitale, tenta d'utiliser la personne de Moctezuma pour calmer les habitants, mais lorsque ce dernier appela à la paix avec les Espagnols, il fut atteint par un jet de pierre et mourut peu après. Les aztèques, s'étant trouvé un nouveau souverain, en la personne de Cuitlahuac, mirent les Espagnols dans une situation intenable. Cortés décida alors de profiter de la nuit pour quitter la ville en catastrophe; cette nuit, au cours de laquelle beaucoup d'espagnols périrent, soit noyés sous le poids de l'or qu'ils avaient emporté de la ville, soit tués ou capturés par les guerriers aztèques, est restée célèbre sous le nom de "noche triste".

Après avoir dû de nouveau livrer bataille contre une troupe d'assaillants aztèques à Otumba, ce qui restait de la troupe de Cortés finit par atteindre Tlaxcala, d'où il prépara la reconquête de Mexico. S'étant assuré le soutien d'autres villes vassales des Aztèques, et ayant reçu des renforts en hommes ainsi que des vivres et des munitions, il prit de nouveau la direction de la capitale, le 26 Décembre 1520, mais, cette fois-ci, bien résolu à venir à bout de la résistance aztèque. Pour parvenir à ses fins et être sûr de prendre la ville, il décida la construction d'une flotte de treize navires qui seraient transportés, démontés, à travers les montagnes, puis mis à l'eau sur le lac de Texcoco. Cependant, la détermination des Aztèques était restée intacte et s'était même renforcée depuis qu'ils s'étaient donnés un nouveau chef en la personne d'un jeune prince énergique, Cuauhtemoc. Pas moins de trois mois furent nécessaires à Cortés, qui avait établi son quartier général à Texcoco, pour se préparer à l'attaque.

Enfin, à la fin Mai 1521, tout était prêt pour le siège, qui devait durer quatre-vingt-treize jours. Après avoir coupé l'apprivisionnement en eau de la ville, les Espagnols lancèrent l'attaque, d'une part par la terre ferme, en empruntant les larges chaussées qui menaient au centre de Tenochtitlan, et d'autre part par l'eau, au moyen de douze des treize navires mis à flot. Après l'échec de plusieurs assauts menés notamment contre la grande pyramide-temple, et au prix de nombreuses pertes en hommes chez les Espagnols, les uns tués et les autres capturés pour être sacrifiés, Cortés se résolut à une destruction méthodique et systématique de la capitale aztèque. A bout de vivres et la ville étant aux trois quarts rasée, Cuauhtemoc, dernier souverain aztèque, finit par se rendre. Sur les ruines de l'ancienne Tenochtitlan, une nouvelle ville sera construite sur le modèle colonial des cités hispaniques; ce sera l'actuelle Mexico. Quant à Cortés, il recevait de Charles Quint, quatorze mois après la prise de Mexico, le titre de gouverneur et capitaine général de la "Nouvelle Espagne".  

Représentation de la mort d'Atahualpa